La Vie religieuse dans le pays de Sierck

13/10/2020 par lhomme

1 La naissance du christianisme

La Lorraine a été christianisée tardivement entre le IIIe siècle et le XIe siècle. Alors qu’il s’approche de la ville de Metz, le missionnaire Clément voit un cerf poursuivi par des chasseurs messins se réfugier auprès de lui. Il le prend sous sa protection et les chiens s’arrêtent, stupéfaits. Le roi de Metz, un certain Orius l’invite à venir prêcher dans sa ville. Clément ressuscite alors la fille du roi, morte à son arrivée. Convaincu de la puissance du dieu de Saint Clément, le prince l’invita à délivrer le pays des dragons qui infestaient les environs de Metz. Clément affronta le monstre et entraîna dans la Seille le plus grand dragon que le peuple appela plus tard « graoully ». Alors des églises furent construites, le peuple reçut le baptême ; la paix chrétienne était établie à Metz et par la suite dans toute la région autour de cette ville qui deviendra par la suite la Lorraine. La région de Sierck devient chrétienne selon le même processus : prodiges, miracles, apparitions. La christianisation s’est donc effectuée d’abord par le culte des saints (saint Clément à Metz, saint Romaric à Remiremont) qui sont des intermédiaires entre Dieu et les chrétiens ainsi que par celui des reliques, par exemple la tunique du Christ à Trêves qui suscite encore de nos jours un pèlerinage. N’oublions pas que Sierck était à l’époque et pendant tout le Moyen Âge sous la tutelle de l’archevêque de Trêves.

Les saints sont aussi présents dans les églises (pierres d’autel), mais aussi dans les reliquaires. Le culte des reliques a un succès prodigieux au Moyen Âge. On n’hésite pas à acheter des objets appartenant à des saints, mais aussi des corps entiers. Cependant, la plupart du temps, on ramenait quelques ossements, par exemple une phalange de Saint-Nicolas encore visible aujourd’hui en l’église de Saint-Nicolas du Port près de Nancy. À Montenach, dans le pays de Sierck, une relique de saint Cyriaque, martyr victime des persécutions de Dioclétien et datant peut-être du Moyen Âge est encore vénérée de nos jours au moment du pèlerinage annuel.

la chapelle Saint Cyriaque à Montenach

Beaucoup de chrétiens croyaient détenir des reliques authentiques (pierres de lapidation, bois de la vraie croix, chaînes de prison de Saint-Pierre). On allait aussi enlever des reliques dans les catacombes romaines. On cite l’exemple de Saint Gorgon ramené à l’abbaye de Gorze près de Metz. La relique était souvent transportée d’un lieu à l’autre et à cette occasion le saint manifestait sa puissance par des miracles tout au long de sa route. On ouvrait aussi souvent les tombeaux de saints pour changer le reliquaire et vérifier l’état de conservation du corps. À l’ouverture du tombeau une odeur suave se dégageait, la fameuse odeur de sainteté.

2 Les fidèles et la foi

Les fidèles manifestaient leur foi par le culte des saints. Ces derniers étaient sollicités en permanence pour obtenir des guérisons ou lors d’une épidémie meurtrière ou d’une pluie catastrophique. Tout était mis en relation entre la volonté des hommes et la volonté divine. Les fidèles exigeaient souvent que l’on sorte le corps d’un saint prestigieux lors d’une catastrophe naturelle. Ils tombaient alors à genoux à son passage, priaient, apportaient des offrandes. Souvent, les malades passaient la nuit au pied de l’autel dans les églises. Lors des pèlerinages locaux, les offrandes affluaient, représentant des revenus importants pour les églises. Il faut rappeler aussi que se maintenaient des pratiques anciennes datant de l’époque païenne telles que les feux de la Saint-Jean à Sierck qui se perpétuent jusqu’à notre époque ainsi que la procession des rogations aux croix des chemins pour assurer la bénédiction divine sur les récoltes. Ces processions s’observaient encore au XXe siècle en Lorraine dans la région de Sierck.
Grâce au prêtre, le fidèle connaissait son comportement de chrétien. D’abord, il fallait assister à la messe chaque dimanche. Cette réunion hebdomadaire permettait à beaucoup de paysans de conclure des affaires. On se réunissait aussi souvent dans les cimetières qui devenaient des lieux de marché. L’église servait aussi de lieu de refuge lorsque les seigneurs devenaient menaçants. Une grosse tour romane servait de clocher, mais aussi de grenier (voir l’église de Haute-Kontz).

l’église fortifiée de Haute Kontz

Chaque église possédait un desservant qui avait la cure des âmes. On l’appelait presbiter au début puis au XIIIe siècle on utilise le terme de curé. Celui-ci devait présenter des garanties (connaissance du dogme, moralité). Aux grandes fêtes les paroissiens devaient se retrouver dans l’église paroissiale où ils communiaient sous les deux espèces (pain et vin). Les nobles avaient souvent une chapelle à leur disposition ou bien ils créaient eux-mêmes un monastère généralement occupé par des bénédictins à leur disposition. Les moines fournissaient des précepteurs aux enfants et conseillaient les seigneurs. La noblesse était donc la plus sûre alliée du clergé. Les curés étaient directement surveillés par les évêques (d’un mot grec qui signifie surveillant) qui étaient en charge d’un diocèse (Metz, Toul et Verdun en Lorraine), mais Sierck dépendait directement du diocèse de Trêves. Diocèses et évêchés ne coïncident pas toujours. L’évêque pouvait avoir des terres en dehors du diocèse. L’évêque était le chef de la chrétienté du diocèse. Il ordonnait les prêtres et surveillait le dogme ainsi que l’administration des paroisses. À l’échelon local, l’évêque pouvait se reposer sur le relais que représentaient les archiprêtres (diocèse de Metz) ou les doyens (diocèses de Toul et de Verdun) chacun ayant à sa charge une dizaine de paroisses. L’évêque exerce un pouvoir temporel sur son évêché et un pouvoir spirituel sur son diocèse. Ainsi l’évêque devenait parfois l’égal du seigneur. Il exerçait des pouvoirs étendus, frappait de la monnaie, contrôlait des foires et des marchés, exerçait la justice. Il possédait aussi des troupes qu’il mettait au service du souverain (duc de Lorraine ou empereur du Saint Empire).

Le monde monastique

ancien couvent des franciscaines de Rustroff

Il est composé de moines, de moniales, de chanoines et de sœurs. On les rencontrait aussi bien à la ville qu’à la campagne et ils sont aussi nombreux que les clercs dans l’église séculière. Ils sont voués à une vie régulière, c’est-à-dire commandée par une règle alors, que les curés vivent en contact avec le siècle c’est-à-dire le monde (clergé séculier). Ils ont besoin que leur vie matérielle soit assurée. Pour cela, ils reçoivent une dotation dont les revenus couvrent les besoins de ses occupants (domaines, terres, vignes, prés et forêts) confiés à des paysans qui sont au service des moines. Une dotation va d’abord à Dieu, ensuite à de saints patrons et enfin seulement aux frères. L’abbé qui dirige l’abbaye est sans cesse au contact avec le roi (ou le duc en Lorraine), mais aussi avec les paysans qu’il faut surveiller. L’église abbatiale n’est pas réservée aux religieux, mais elle est aussi ouverte aux villageois et aux visiteurs. Cependant, les revenus de l’abbaye sont souvent détournés et accaparés par des chevaliers laissant l’abbaye en mauvais état et contraignant les moines à travailler. Dans les abbayes se trouvaient les plus riches bibliothèques et des écoles. Chaque monastère avait un atelier d’écriture où on enluminait les évangiles, les bibles et les psautiers. Des ordres nouveaux se développèrent surtout au XIIe siècle, en particulier celui des Cisterciens fondés par Saint Bernard. À partir de cette époque, les moines vivent davantage en commun et se mélangent moins au peuple. Ils suivent les conseils de Saint-Benoît et travaillent de leur propre main et défrichent la terre. Les fidèles et les laïcs leur faisaient souvent des dons en rémunération des prières et qui leur assuraient le salut éternel. À Sierck le plus ancien monastère date du XIIIe siècle : c’est celui de Marienfloss qui abrite successivement des Sœurs Cisterciennes, des Moines chartreux et des chanoines prébendés. Cette abbaye a été donnée en possession aux sœurs par le duc de Lorraine Mathieu II et a été construite sur un terrain situé au pied des remparts de la ville de Sierck. Pendant la guerre de Trente Ans l’ordre des Récollets construit un couvent qui deviendra plus tard un collège ecclésiastique diocésain de 1826 à 1875 puis un collège mariste de 1930à 1963 avant d’être démoli en 1973.

le couvent des Récollets qui deviendra l’ancien collège Sainte-Marie

4 Réforme et contre -réforme

À la fin du Moyen Âge, les Lorrains pouvaient revendiquer un antique héritage chrétien, mais le souci des pratiques semblait l’emporter sur la réflexion. De la naissance à la mort, le chrétien se situait constamment face au monde surnaturel. Les prières machinales, les gestes répétés rythmaient ses heures et ses jours. Les fidèles aimaient voir et toucher les images et les représentations des Saints surtout celles de la Vierge. Les pèlerinages conservaient leur représentation traditionnelle et traduisaient à la fois les regrets des fautes commises, l’espoir d’un secours immédiat et la reconnaissance pour les bienfaits reçus. Quelques fidèles parcouraient encore les longs chemins de Compostelle et de Rome ou de Jérusalem ou du Mont Saint Michel. Sierck était un passage obligé sur le chemin qui menait d’Allemagne vers Saint-Jacques de Compostelle. De nombreux sanctuaires lorrains attiraient les foules (La Croix Saint Prêtre près de Metz et Benoîte-Vaux dans la Meuse). Le culte des reliques prit une proportion considérable.

panneaux situés au pied de la montée vers le château


     Mais si les diocèses et leur métropole de Trêves ne manquaient pas de clercs, des abus s’étaient glissés dans le monde ecclésiastique. La fonction pastorale devenait surtout source de revenus et les prélats eux-mêmes cumulaient de fructueux bénéfices. Le fils du duc de Lorraine René II cumula par exemple une dizaine de sièges épiscopaux, une demi-douzaine d’abbayes et plusieurs prieurés. Il en va de même pour les membres du clergé régulier qui manquaient souvent aux vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Cependant, quelques tentatives de réformes eurent lieu de la part des Franciscains et des Cordeliers. La Lorraine entendit l’appel de Luther, mais n’y répondit que faiblement. Quelques groupes de réformés se constituèrent à Metz, mais Sierck ne connut pas de mouvement protestant. Il n’existe d’ailleurs pas de temple protestant dans cette ville alors que la ville voisine de Perl située en Allemagne en possède un, aujourd’hui encore. La Lorraine va d’ailleurs devenir au XVIIe siècle un bastion de la Contre-Réforme surtout après la création de l’Université de Pont-à-Mousson destinée à mieux instruire les prêtres et à les ancrer dans la foie  foi catholique.

calvaire sur la route de Belmach

Révolution et Empire

Dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, la vie religieuse subit un changement radical en France, en Lorraine et dans le pays de Sierck. Les croyances et la pratique héritées d’une tradition millénaire sont brutalement remises en question. L’Assemblée constituante issue des États généraux n’est pas hostile à la religion, mais elle veut créer une société fondée sur la liberté et la raison. Dans la réforme des institutions, les représentants de la nation décident seuls et veulent réformer le cadre institutionnel de la vie religieuse. Les révolutionnaires abolissent les privilèges fiscaux du clergé et les dîmes sont rachetées. L’Assemblée met à la disposition de la Nation les propriétés foncières attachées à la fonction ecclésiastique. Les biens nationaux (20% du sol) sont vendus aux bourgeois et aux paysans. De plus la loi ne reconnaît plus les vœux monastiques et abolit les congrégations qui les pratiquent. Beaucoup de moines abandonnent leur vocation. La Constitution civile du clergé étend à celui-ci le principe général de l’élection (évêques, abbés …). La Constituante exige que tous les ecclésiastiques prêtent le serment de maintenir la constitution civile du clergé d’où la division du clergé entre prêtres jureurs et prêtres réfractaires. Dans la région de Sierck, germanophone, le clergé refuse en majorité cette réforme. Les prêtres réfractaires sont arrêtés puis envoyés au bagne de Rochefort. La Convention s’en prend à la religion qualifiée de superstition et de fanatisme. Le costume ecclésiastique est interdit et les églises sont dépouillées de leurs emblèmes religieux et ne s’ouvrent plus que pour les fêtes de la raison. Les sonneries des cloches sont interdites et le culte décadaire (semaine de 10 jours) est imposé, mais ne rencontre pas de succès. À Sierck, deux conventionnels farouches, Merlin de Thionville et le juge de paix Hentz déployèrent un zèle furieux et obtinrent la fermeture des couvents des Chartreux à Rettel et des Récollets à Sierck, des Sœurs grises à Rustroff tandis que l’église de Marienfloss est vendue et démolie en partie. L’église de Sierck est transformée en temple décadaire et dépouillée de tous ses ornements religieux. La déesse Raison est personnifiée par une demoiselle de la ville en robe de mariée. Avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte, la situation religieuse s’améliore. Napoléon signe avec le Pape le Concordat du 15 juillet 1801 : l’Église obtient la liberté de culte tandis que le premier consul obtient le droit de nommer les évêques

L’Église de Sierck

6 L’occupation allemande et ses conséquences

Après 1870 la vie religieuse échappe à l’emprise de la France puisque l’Alsace-Lorraine est annexée par l’Allemagne. La région de Sierck comme le reste de l’Alsace-Lorraine ne subiront pas les secousses de la laïcisation et après 1918 le statut concordataire établi par Napoléon permettra au clergé de la région de conserver son droit local : les personnels du culte sont rémunérés sur le budget de l’État et un enseignement religieux est dispensé dans les écoles publiques. Dans la région sierckoise comme dans le reste de la France, les fidèles ne constituent plus la majorité de la population. Pour faire face au manque de prêtres, ils se sont regroupés en communautés de paroisses (Communauté de Marienfloss à Sierck).

La vie religieuse dans le pays de Sierck est aussi caractérisée depuis au moins le XVIIe siècle par la présence d’une importante communauté juive qui exerçait au départ des activités de prêt puis de commerce. Ces juifs obtinrent le droit de construire une synagogue qui fut détruite par les bombardements allemands à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On peut remarquer encore actuellement la présence de plusieurs cimetières juifs à proximité des remparts de la ville au pied du château fort.

ancien cimetière juif de Sierck au pied du château fort

Ainsi le pays sierckois, resté pendant longtemps sous influence germanique, est encore marqué de nos jours par des monuments rappelant l’influence de la religion catholique (églises, couvents, calvaires) qui ont accompagné tout au long de leur vie les habitants du pays. Il est regrettable que certains de ces témoins religieux aient été récemment détruits (ancien couvent des Récollets) ou ne soient plus entretenus (ancien couvent des Franciscaines de Rustroff). Un grand merci à l’abbé Lecomte qui a restauré et mis en valeur à la fin du siècle dernier le sanctuaire de Marienfloss (ruisseau de Marie), lieu de naissance du rosaire. 

vestiges du couvent de Marienfloss
Chapelle  de la paix près de Merschweiller symbolisant la réconciliation franco-allemande

Bibliographie :

  • Encyclopédie illustrée de la Lorraine de René Taveneaux
  • Notre-Dame de Marienfloss, berceau du Rosaire du chanoine Joseph Lecomte
  • Pèlerinage Saint-Cyriaque d’Alphonse Gambs

2 réflexions au sujet de “La Vie religieuse dans le pays de Sierck”

  1. Bonjour, je suis occupé la rédaction d’un ouvrage sur « Des taques de foyer entre Meuse et Rhin », je possède déjà plus de 650 références. . J’ai vu dans le n° 19 (1977) de La Revue Populaire Lorraine qu’il existait une imposante taque à l’enfant Jésus provenant du couvent des religieuses de Rustroff. Serait-il possible d’obtenir une photo de cette remarquable taque? En vous remerciant d’avance. Bien cordialement. Michel Rézette

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